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Intervention de Stéphane RAFFALLI
Maire de Ris-Orangis, Conseiller départemental de l’Essonne:
Madame la Députée, Madame la 1ère adjointe,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les représentants des associations d’anciens combattants,
Mesdames et Messieurs les agents de la Police nationale, de la Police municipale et des services d’incendie et de secours,
Madame, Messieurs les portes drapeaux, Messieurs les représentants des cultes, Mesdames, Messieurs, Rissoises, Rissois, Chers amis,
Chers enfants,
Le 11 novembre 1918, c’était l’Armistice.
Il mettait fin à la Guerre, à la Grande Guerre.
Il y a 100 ans. Il y a un siècle. « Ci loin – Ci proche ».
La France avait payé un lourd tribut à cette tragédie.
Plus de 8 millions de Français – 1/5ème de la population – furent appelés sous les drapeaux. 1 million 500 mille sont morts. Des centaines de milliers ont été blessés.
« Gueules cassées », amputés, brûlés, gazés, qui ont porté tout au long de leur vie des stigmates dans leur chair, sur leur visage, la marque indélébile de l’épreuve.
Aussi, la Nation décida-t-elle d’entretenir le souvenir de ce drame parce qu’elle pensait qu’elle ne pourrait plus jamais le revivre et que rien ne devrait être oublié.
Dans notre mémoire nationale, la cérémonie du 11 novembre a beaucoup évolué avec le temps. Elle fut d’abord – et d’une certaine manière l’est restée – le moment du souvenir et du recueillement des Morts pour la France, ceux dont nous énoncerons les noms dans notre cimetière municipal tout à l’heure. C’est d’abord vers eux qu’est tourné ce moment.
Avec le temps elle est devenue un peu plus : le souvenir des horreurs du 1er conflit mondial, 15 millions de morts dont 9 millions sous l’uniforme, des milliers d’hommes revenus du front après y avoir laissé un peu d’eux-mêmes. Elle est désormais cela : affaires de victimes, français comme allemands réunis dans le même souvenir de guerres barbares menées au nom de nations arrogantes et belliqueuses, s’entredéchirant un siècle durant et une ultime fois en 39-45 lors d’une guerre où l’humiliation née d’un armistice du 11 novembre 1918 déséquilibré avait créé les conditions d’une nouvelle barbarie.
Avec le temps, les mémoires françaises et allemandes se sont rapprochées, comme le symbolisera tout à l’heure la cérémonie conjointe du Président de la République, Emmanuel Macron, et de la chancelière allemande, Angela Merkel, en présence de 70 chefs d’Etats étrangers à la Conférence pour la paix, les fils patiemment tissés par quelques grands hommes, De Gaulle, Adenauer, Monnet, Mitterrand, Kohl ayant produit leur œuvre. La France, l’Allemagne, délivrées de leurs pulsions nationalistes, la paix assurée parce que coproduite et étendue à toute l’Europe.
Pourtant, la nation est une belle idée. En ces temps de débats sur l’identité nationale et quel que soit le regard que l’on porte sur le caractère tacticien d’un débat auquel nous sommes invités en permanence, la nation est une trop belle idée pour être galvaudée ou instrumentalisée. Mais de quelle nation parlons-nous ?
La nation livrée à ses passions, abandonnée à ses instincts d’où nait l’idéologie du nationalisme, la nation en croisade contre ses ennemis de l’intérieur ou de l’extérieur ? Anti dreyfusarde comme anti allemande ? La nation qui finalement s’identifie plus à ce à quoi elle s’oppose qu’elle ne se définit pour ce qu’elle prétend être ?
Ou la nation ouverte, gouvernée par de grands principes et habitée par la raison. La nation républicaine, née du droit et pour le droit qui, dès sa naissance, par l’affirmation de principes universels de liberté, d’égalité et de fraternité s’affirme républicaine tout en se dépassant pour prétendre à l’humanité.
L’amour de la nation ce n’est pas le nationalisme. L’amour de la nation c’est le patriotisme, l’attachement à une histoire, la reconnaissance de ce que l’on doit à ceux qui nous ont précédé et la volonté d’enrichir ce patrimoine, de la consolider, de le fortifier.
Romain Gary disait, la formule est célèbre. Elle conserve toute sa puissance : « le patriotisme c’est l’amour des siens alors que le nationalisme c’est la haine des autres. » On ne peut pas vivre dans la haine de l’autre. Aimer la patrie parce qu’elle est autant le lieu des souvenirs communs que le lieu des communes espérances. Là est le chemin Préférer au nationalisme des instincts le patriotisme qui élève chaque individu vers la conquête de nouveaux droits et, au-delà, vers la découverte de la véritable solidarité humaine, à travers les frontières, reliant ainsi tous ceux qui, identifiés à une histoire, n’en deviennent pas prisonniers. Etre français, c’est cela : être attaché à son histoire autant qu’engagé vers des nouvelles conquêtes ; pour soi ; pour tous. Etre français, c’est aussi être capable de souffrir avec le monde.
La première guerre mondiale fut un conflit tragique car elle provoqua la mort de 15 millions d’êtres humains de toutes nationalités, beaucoup dans nos colonies, en traumatisant un plus grand nombre encore, et anéantit l’humanisme propre à la culture européenne.
Lorsqu’au terme de 4 ans de combats, les armes se turent enfin, la paix produisit une rancœur politique une haine nationaliste et raciale d’une intensité telle qu’on ne peut expliquer les causes de la seconde guerre mondiale, cinq fois plus meurtrière sans évoquer la première. La seconde guerre mondiale fut la conséquence directe de la première.
Le 18 septembre 1922, l’ancien caporal Adolf Hitler lança à l’Allemagne défaite un défi qu’il relèvera 17 ans plus tard.
« Je ne peux pas croire que 2 millions d’allemands soient morts pour rien (…) Nous, nous ne pardonnons pas, nous crions vengeance ».
Cet esprit de revanche, les ravages de la crise économique, le fléau des extrémistes, la faiblesse des organisations internationales à sanctionner les manquements au droit, les carences honteuses des gouvernements nationaux provoquèrent, hélas, un désastre encore plus ravageur, un déchainement encore plus terrifiant, dont la Shoah fut le paroxysme.
Cette leçon ne doit pas être oubliée. Cette leçon de la première guerre mondiale : rien n’est acquis, rien n’est irréversible mais rien n’est fatal non plus.
Tout dépend de la volonté humaine.
Certes la guerre de 14-18 fut gagnée par la France et ses alliés mais « le traité de Versailles n’installait pas une paix durable » comme l’écrivait Jean Monnet.
Il ajoutait « j’ai compris que l’égalité était absolument essentielle dans les rapports entre les peuples comme entre les hommes. Une paix d’inégalité ne peut rien donner de bon ».
La guerre 14-18 est cette saignée, cette blessure qui coule encore, avec ces familles détruites, dévastées, ces enfants sans père, ces maisons démolies, ces champs qui ont cessé d’être ensemencés, cette vie arrêtée tandis que la mort régnait partout.
Il a fallu que la France retrouve peu à peu les chemins de la vie et cependant à peine 20 ans plus tard les choses ont recommencé. Deux générations, deux guerres mondiales…comme nous devons sans cesse penser à ces évènements dévastateurs dont la France a souffert en profondeur.
Deux conflits majeurs qui s’inscrivent dans notre mémoire nationale : cette mémoire où se mêlent, s’enchainent, s’enchevêtrent les histoires personnelle, familiale et le destin d’un pays, le nôtre.
Aujourd’hui,
Le temps de mémoire arrive à un moment où la France s’interroge sur elle-même, sur sa place, sur son avenir, avec l’appréhension qui s’empare de toute grande nation confrontée aux changements du monde. Dérèglement du capitalisme financier, crise économique, crise migratoire, crise climatique.
C’est pourquoi il nous faut donner du sens à l’acte même de « commémorer », comme nous l’avons fait à Ris-Orangis toute la semaine passée à l’occasion du centenaire et des
nombreux événements organisés grâce à la mobilisation de tous.
Commémorer, c’est saisir la force des générations qui nous ont précédées afin de faire des leçons de vie pour les suivantes.
Commémorer, c’est savoir d’où l’on vient pour mieux comprendre ce qui nous relie et nous fédère.
Commémorer, ce n’est pas seulement invoquer le passé ou le convoquer, c’est porter un message de confiance dans notre beau pays ; « vieille France », écrivait le Général de Gaulle « accablée d’histoire, meurtrie de guerres et de révolutions, mais redressée de siècle en siècle par le génie du renouveau ».
Commémorer, c’est parler la langue des anonymes. C’est parler du courage des poilus qui rencontrent l’effroi au fond de la tranchée, c’est vanter l’audace du français libre qui rejoint Londres dès juin 1940, c’est souligner l’héroïsme discret, parfois anonyme du résistant qui rallie l’armée des ombres, c’est saluer la dignité du Juste qui cache un juif au péril de sa vie.
Commémorer, c’est rappeler que la République a traversé des épreuves terrifiantes et qu’elle a toujours su s’en relever. Et qu’elle ne doit avoir peur de rien. Nous n’avons à avoir peur de rien.
Au cours de ces évènements d’une exceptionnelle gravité qui nous ont mis en abime, avons-nous jamais douté de notre destin ? Je ne le crois pas puisque dans les temps les plus sombres, des voix se sont toujours élevées qui ont indiqué le chemin et de la victoire et de l’avenir.
Ce qui montre bien que dans ces heures-là nous sommes capables, passant par-dessus nos divergences naturelles, par-dessus les disputes et les luttes légitimes d’intérêts, de ressentir que nous sommes un même peuple, le même qui a ou qui aurait à souffrir des mêmes maux, qui se trouve ou doit se trouver solidaire devant son histoire présente, ce qui n’ôte rien aux droits dont chacun dispose d’affirmer dans les règles de la démocratie, ce qu’il est, ce qu’il veut. Les engagements de citoyens sont libres, continueront de l’être et c’est notre devoir que de préserver cette liberté d’être et de penser.
Mais voilà, un 11 novembre, il faut aussi savoir qu’il est quelque moment où nous devons sentir que nous sommes frères.
Le 11 novembre, c’est notre fête à tous, fête fraternelle, c’est la fête de la France unie, fête grave du souvenir, fête du respect des autres, fête de l’amitié entre les peuples, fête aussi de cette certitude qui nous habite, de la pérennité de la France (et de ses valeurs).
Il y a encore quelques aînés parmi nous dont les parents ont vécu ces heures noires, il y a cent ans – ci loin ci proche. Cette mémoire est encore vive.
Mais il y en a d’autres – ils sont encore loin de leur vieillesse – nos enfants qui nous écoutent aujourd’hui. Vous êtes ici présents, ce matin d’automne. Peut-être avez-vous, chers enfants l’impression que nous nous répétons, qu’il s’agit de vieilles histoires.
Non, vous saurez très vite en grandissant que c’est l’histoire même, la nôtre, la vôtre, et qui s’inscrit à la suite des siècles qui ont fait de la France le grand pays dont nous sommes fiers.
Devant la pierre de notre « monument aux morts », récemment rénovée, sur cette belle place des fêtes de Ris- Orangis, nous honorons nos anciens qui, au péril de leur vie, ont su gagner la paix.
C’est à nous non seulement de la préserver mais encore de la renforcer.
Rejetons donc toute forme de populisme ou d’idéologie totalitaire d’où ne peut surgir que le malheur des hommes.
Et repoussons toute faiblesse génératrice de servitude, bref soyons disponibles pour garantir la paix encore longtemps.
A Péronne, dans la Somme, on peut visiter le mémorial de la « grande guerre ». On peut y découvrir les lettres des soldats, les photos de ces moments de fraternisation les soirs de Noël 1916 et 1917, petites lumières dans la boue envahissante des tranchées. Ces morts, de chair et de sang, ont été convoyés à la boucherie par les puissants, au nom du nationalisme. Mais c’est par patriotisme qu’ils ont donné leur vie, parce qu’ils aimaient leur pays. Aragon, dans un beau texte d’hommages aux poilus, nous appelait à ne jamais oublier les hommes derrière les combattants.
« Déjà vous n’êtes plus que des lettre d’or sur les monuments des places de nos villages ; déjà vous n’êtes plus que des soldats de plombs ».
Dans quelques instants, en égrenant leurs noms dans notre cimetière communal, devant leurs tombes ornées de cailloux blancs, nous redonnerons aux morts pour la France leur humanité. Parce qu’on tue au nom de la nation. Mais on meurt par patriotisme, par amour de la nation et que la seule nation qui vaille soit celle qu’il faut aimer, pas celle qui veut qu’on la haïsse. Aux morts de 14-18, à ces hommes trop tôt disparus, merci.
Ensemble nous pensons à vous,
Vive la paix !
Vive la République ! Et vive la France !
Stéphane Raffalli,
Maire de Ris-Orangis, Conseiller départemental de l’Essonne
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